mardi 8 janvier 2008

La tentation du Leviathan

Il était temps qu'un message sur ce blog ne se contente pas de proposer juste une vidéo en guise de message du jour. Par petites touches, ici et là, les deux rédacteurs ont laissé entendre une position politique légèrement marquée. Parlons donc enfin vraiment de politique.
L'année 2008 commence mal, autant, voire plus que la fin de l'année 2007. Ce matin, notre Président se livre à l'exercice, assez rare dans ce style, de la conférence de presse. Ce qui devait permettre à 600 journalistes de poser, enfin, les bonnes questions. Le problème, c'est que dans une conférence de presse, le journaliste ne peut pas répondre au Président. Certains ont dit qu'il était doué. Il l'est, assurément. Mais ce qui n'empêche pas sa rhétorique de jouer sur des ficelles aussi grosses que le retournement de veste d'Eric Besson, ou des personnes composant aujourd'hui le bureau politique du Nouveau Centre. Alors quand un journaliste pose une question, il ne peut malheureusement pas lui répondre en direct.
Drôle de phénomène. Le Président se montre. Il veut qu'on le regarde. Mais pas qu'on le critique. Evidemment, "il a été élu pour faire ce travail". Ah, l'argument imparable. "Mais qu'est-ce que vous voudriez que je fasse ?" Nous, rien. Il décide, certes. Mais, malgré le fait qu'il soit partout, tout le temps, ayant déjà largement dépassé le seuil de saturation (et non plus "au bord de l'excès/de l'overdose/du trop-plein, non non, on a déjà explosé cette "limite"), il semble étrangement seul. "Je prend des risques, si je fais des erreurs, je les payerai cash" dit-il, comme tout bon joueur de foot en nage à la sortie du terrain.
Le Président semble vivre dans une bulle, dans laquelle il a amené "Rama", "Fadela", "Bernard", "François", "Xavier" (ils sont où les numéros pour les éliminer ? Ah non pardon, j'avais oublié qu'on était en train de parler des ministres de la République), bulle qu'il met sous nos yeux, afin que tout le monde puisse bien voir. Mais attention, il faut "désacraliser" la fonction présidentielle. Alors notre Président "nous fait une confidence" (quelle chance) : "je me lève le matin et je me couche le soir" - sous-entendu, peut-être avez-vous pensé que je suis un sur-homme, vu comme je travaille vite (on se gardera d'ajouter un "bien") ; mais à part cela, interdit de dire qu'il a un ego surdimensionné. Désacralisons : j'ai l'idée "originale" d'aller à Disnayland avec ma copine ("originale" ? Ai-je mal lu ?), d'aller en Egypte avec ma copine histoire de montrer que moi aussi je peux lui tenir la main ou l'enlacer "discrétement" (tout est toujours fait discrétement dans la bulle du Président). Mais non. Si la fonction présidentielle ne doit pas rester dans les hautes sphères du temps de de Gaulle, elle doit pas non plus être ramenée au niveau de Monsieur Tout-le-Monde. Le Président n'est pas Monsieur Tout-le-Monde. Et d'ailleurs, l'actuel titulaire du poste ne l'oublie pas : il n'est un français moyen que lorsqu'il doit aller visiter les pyramides avec sa copine et ses lunettes, mais pas quand il faut augmenter son salaire ou voyager en jet privé (l'augmentation qui vient d'être rappellée ne lui permettait-elle pas de "ne pas voyager avec l'argent du contribuable", ce dont il se félicitait ?).
Mais si ce n'était que ça. Le Président est dans une bulle, dont il ne sort que pour aller s'assurer que tout le monde le regarde. Et il semble "avoir été élu pour" cela. Voilà l'ère nouvelle : la légitimité électorale autorise à faire ce qu'on veut, mais surtout à couper les ponts avec ceux qui sont la source de cette légitimité, jusqu'à l'élection suivante. Les ministres vont être évalués. Mais c'est déjà le cas, depuis au moins 1870. Ca s'appelle le Parlement, élu démocratiquement, par les mêmes personnes qui ont élu démocratiquement le Président. Mais non, il reste dans sa bulle, et demande les services d'un cabinet privé. Cette sensation de liberté semble l'autoriser à plus grave. Porter atteinte à une grande partie de ce pour quoi le pays et le peuple (ces mêmes électeurs oubliés) s'est battu. Le pRésident veut "inscrire les règles de bioéthique dans la Constitution". Que n'a-t-il refusé les tests ADN ? Et en ce début d'année va passer, avec une "légère polémique" mais dans une indifférence plus grande encore, un projet de loi au moins aussi dangereux, voire plus. Billet gratuit pour Minority Report : la loi anti-récidive, la première qui, depuis 1789, va enfermer des gens, non pour ce qu'ils ont fait, mais pour ce qu'ils sont. Il n'y a "plus d'argent dans les caisses" (mais seulement depuis septembre, après la 14 milliards etc etc), plus d'argent pour payer des psychiatres pendant la détention des condamnés. Et bien, ils ont qu'à y rester, même après avoir effectué leur peine.
Ce n'est pas grave, "les Français m'ont élu pour ça". Alors, le Président fait ce qu'il veut.
En 1651, Thomas Hobbes expose la théorie d'un contrat social un peu particulier, celui qui doit mettre au pouvoir le Leviathan, le dépositaire du pouvoir dont, pour leur survie mutuelle, se sont dessaisis les différents contractants, envers un représentant extérieur à eux. Une fois ce pouvoir laissé aux mains de la puissance qui en est dépositaire, tout ce qu'il pourra faire devra être accepté, car la décision émane des contractants. Immunité totale. Rien à dire. Jean-Jacques Rousseau propose le modèle inverne.
France, 2007 : la tentation du Leviathan est devant nous. Nous savons que c'est pour 4 ans et demis. Mais tout de même.

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